Comment Michael et Janet Jackson ont créé la nouvelle rockstar
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Comment Michael et Janet Jackson ont créé la nouvelle rockstar
Des collaborateurs de la fratrie superstar évoquent la façon dont « Beat It » et « Black Cat » ont su transcender les questions de genre – de race – et ainsi changé la pop pour toujours
En 1982, Michael Jackson n’était pas encore le Michael Jackson megastar. Avant Thriller, le jeune homme de 24 ans avait sorti cinq albums solo mais continuait de créer un son qui lui serait propre et non plus celui des Jackson 5. Il avait gagné son premier Grammy pour « Don’t Stop ’Til You Get Enough » (sur Off the Wall) et commençait tout juste sa relation fructueuse et durable avec le producteur Quincy Jones. Mais il avait besoin de trouver un titre qui briserait les cadres établis et qui lui donnerait un nom. Pour Jackson, créer une association avec un guitariste hard-rock sur le futur tube « Beat It », fut un vrai coup. « Eddie Van Halen était beaucoup plus apprécié dans la communauté MTV que Michael Jackson, » explique le critique Greg Tate. « C’était une plus grande star que Michael. »
La star de la pop et Quincy Jones jouèrent le tout pour le tout, pour ce qui deviendrait l’un des plus grands tubes de Michael Jackson : ajouter Van Halen et son doigté à la guitare reconnaissable instantanément sur « Beat It ». Alors que Thriller rencontrait déjà un succès mondial, la sortie du single – où la voix R&B de Michael se mêle à du hair-metal – aida à faire de l’opus le plus grand album de tous les temps.
« Je voulais écrire une chanson que je pourrais acheter, » expliqua Jackson à propos du morceau. « Mais aussi quelque chose de totalement différent de ce que je pouvais entendre au Top 40. » Il réussit les deux paris. Le succès de Thriller permit évidemment à Jackson de percer, mais il engendra également un changement capital pour les artistes noirs et la pop. MTV commença à diffuser les clips de « Billie Jean » et « Beat It », contribuant à en faire les tubes de la jeunesse des années 80 et ouvrant la voie à une représentation grandissante des artistes noirs, juste avant l’explosion du hip-hop.
A ce moment-là, le rock était forcément synonyme de blancheur de peau ; l’explosion de sous-genres comme le punk et le heavy metal l’avait éloigné de ses origines noires américaines. Le disco apportera un bref soulagement, voilà enfin un genre que les poids lourds du rock et de la pop vont explorer, afin de rester au niveau. Avec une chanson comme « Beat it », qui doit autant au metal qu’au R&B, Jackson a créé une place à une nouvelle image de la rockstar noire, différente de celle que les pères fondateurs comme Chuck Berry avaient occupé, beaucoup plus ancrée dans la société des années 80. Le guitariste Steve Stevens travaillera avec Michael Jackson sur son album suivant, Bad, livrant un solo incisif sur « Dirty Diana ». Un autre moment-clé rock pour Jackson, et certainement pas son dernier.
« Le mérite, en ce qui concerne Eddie Van Halen et moi, va à Ted Templeman, le producteur de Van Halen, et le manager qui m’a fait signer chez Warner Brothers, » rappelle Stevens à Rolling Stone. A l’époque, Stevens s’était fait un nom en tant que guitariste de Billy Idol. « Ted était ami avec Quincy Jones. Après le succès de « Beat It », il semblerait que Quincy ait appelé Ted et lui ait dit « Ok, qui est le guitariste le plus rock que tu connaisses ? On a un autre morceau rock sur Bad. » Et Ted lui a suggéré de m’appeler. »
En studio pour une session qui ne durera pas plus de trois heures, Stevens rencontra Jackson l’artiste, et non pas la megastar constamment entourée de ses proches. Jackson et Jones ont laissé Stevens faire ce qu’il voulait sur le solo du morceau, lui donnant seulement quelques indices sur ce qu’ils voulaient. Ce n’est qu’au moment du tournage du clip que le guitariste réalisa à quel point Jackson était devenu intéressé par le rock.
« Il se préparait pour une tournée majeure, et avant cette date, il n’était parti qu’avec les Jackson 5, » explique Stevens. « Il était intraitable et voulait une énorme production. Il a donc commencé à me demander avec quels ingénieurs son et quels ingénieurs lumière on travaillait. »
Les deux hommes commencèrent même à s’échanger des recommandations musicales. « L’une des choses les plus drôles qu’il m’ait demandées c’était si je connaissais Mötley Crüe, » se souvient-il en riant. « Il a [aussi] fait une imitation impressionnante de David Lee Roth devant moi. Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point la situation était surréaliste. Michael Jackson imitant David Lee Roth. »
Plusieurs mois plus tard, Stevens rejoint Jackson pour jouer « Dirty Diana » au Madison Square Garden pour une association caritiative. Il est alors témoin du résultat de l’intransigeance de Michael Jackson pendant la préparation de la tournée. « Quand j’ai vu son concert, c’était comme un show rock. La scène, les éclairages, tout était à un niveau impressionnant, et je me suis immédiatement dit qu’il avait tout compris. Il voulait faire plus grand et plus gros que n’importe qui d’autre. »
Jennifer Batten, guitariste de Michael Jackson, a fait partie pleinement de cette machine de guerre pendant trois tournées, ainsi que pour le show légendaire du Super Bowl. Avant de travailler avec Jackson, Jennifer Batten avait joué de tout, du folk à la funk. Au début des années 80, elle vivait à San Diego et jouait dans un cover band. Ils étaient en train de répéter quand elle a entendu « Beat It » pour la première fois à la radio. « Je ne l’oublierai jamais, » explique-t-elle à Rolling Stone. « Quand le solo est passé, on était bouches bées, parce que c’était si inhabituel et si exotique pour un morceau pop. Généralement, les solos dans ce genre de titre sont très prévisibles et celui-ci était totalement fou. »
Premières stupeurs passées, elle s’entraîna à mémoriser le solo de Van Halen et « échoua à trois reprises » à cause des nombreuses techniques qu’elle ne maîtrisait pas encore. « Finalement, j’ai réussi, et mec, ça a payé. »
Jennifer Batten a passé deux mois en répétition avec Jackson et les chanteurs, le groupe et les danseurs du Bad Tour. C’était un « terrain de jeu » pour Michael, selon la guitariste. Le cuir et le métal qu’il portait sur lui à l’époque se transposèrent jusque dans sa production gigantesque – ce fut l’une de ses tournées les plus techniques. Jennifer Batten se souvient que Michael Jackson écoutait constamment de la musique, l’oreille rivée sur le rythme. « Il écoutait de tout, de la musique classique, à des jingles, en passant par du metal. Le metal avait d’ailleurs un certain pouvoir qui intriguait Jackson. Je suis sure qu’il pensait également à des questions de marketing quand il s’est associé à Van Halen. C’était juste une alliance plutôt évidente, qui lui a permis de toucher un public auquel il n’aurait jamais eu accès autrement. »
Si le hip-hop était le « CNN de l’Amérique noire », comme le définit Chuck D, le hard rock et plus spécialement le heavy metal était devenu le média favori des hommes blancs énervés. Pour Jackson, le petit dernier des Jackson 5 dont le titre le plus suggestif avant Thriller était le tube écoeurant de disco « Don’t Stop Till You Get Enough », la fusion entamée par « Beat It » et continuée avec « Dirty Diana » était un risque majeur. A l’époque, les rockeurs noirs se comptaient sur les doigts d’une main ; la percée de Prince avec 1999 se produirait concomitamment de la sortie de Thriller mais le chanteur ne se doutera de son potentiel rock qu’en 1984 avec Purple Rain.
Si « Beat It » ouvrit la voie, l’une des cadettes Jackson choisira une stratégie musicale similaire. En août 1990, Janet Jackson sort « Black Cat », le sixième single de son quatrième opus Rhythm Nation 1814 très chargé politiquement. Dans les années 80, elle avait peiné avant de finalement réussir à se libérer de la célébrité de son frère ; la princesse de la pop était devenue reine avec le pionnier Control. Avec Rhythm Nation, elle réaffirma son pouvoir et passera le reste des années 90 et le début des années 2000 à expérimenter dans le domaine du R&B et à réinventer sa propre image.
Pour une courte période en 1990, Jackson fut une metalhead. « Black Cat » demeure l’une de ses performances vocales les plus brutales, la seule où on peut l’entendre hurler, dans un style radicalement différent de ce qu’elle avait pu faire auparavant. Le morceau sera un tube absolu et lui permettra d’être nominé au Grammy de la Meilleure performance vocale d’une artiste rock, faisant de Janet Jackson le seul artiste de l’histoire à avoir été nominée au nom de cinq genres différents au cours de sa carrière.
« J’étais l’un des seuls guitaristes de la scène de Boston et de l’East Coast que je connaisse à être passionné par la pop et la dance, et Janet bien entendu, » affirme Nuno Bettencourt, d’Extreme. Avant que son groupe n’explose avec l’album Pornograffiti en 1990, il participa aux enregistrements de la version single de « Black Cat ». « J’écoutais Janet non stop. Mon groupe pensait que j’étais devenu fou. » Après sa participation à la chanson, Bettencourt affirme qu’il reçu des réactions mitigées de la part de ses compères rock qui n’étaient pas totalement persuadés de la crédibilité de ce passage hard-rock dans la carrière de Janet Jackson. Il compare aujourd’hui sa situation au travail de Van Halen sur « Beat It » et à la façon dont le monde avait réagi. « Cela n’a pas acquis la communauté rock à la cause de Michael. Pour les fans de rock, tout l’attrait résidait dans le solo et je ne crois pas qu’ils aient compris que l’intérêt de cette collaboration résidait dans le choc entre les deux univers. Avec Janet, nous avions encore franchi une étape. »
Enfant, Dave Navarro, qui enregistra une nouvelle fois la guitare du « Black Cat » pour la version du Rock Witchu Tour, s’était senti flatté par la rencontre entre le hard rock et la pop apportée par les Jackson. « En tant que guitariste, j’étais un immense fan de Van Halen – à la fois le groupe, mais aussi Edward Van Halen. Quand Michael a fait jouer Van Halen sur l’un de ses morceaux, cela m’a vraiment parlé et j’ai trouvé cette cohabitation très excitante. »
Navarro jouera pour Michael Jackson à l’occasion de la Convention nationale des Démocrates en 2002, proposant un solo de guitare sur « Black and White ». Selon lui, ces moments où les genres et les communautés se rencontrent sont la définition même de la musique.
« Il y a eu une époque où ces genres étaient exclusivement réservés à leurs fans et je pense que d’un point de vue général, insérer un élément fédérateur là où les gens ont tendance à être exclusif, était une initiative quasi spirituelle. Parce que vous êtes un gosse qui aime la guitare ne veut pas dire que ce que l’on fait n’est pas pour vous. »
« Alors que j’avais tourné cinq fois avec Rihanna et enregistré avec elle en studio, je me souviens que je recevais souvent en Europe des appels de journalistes qui voulaient m’interviewer pour des magazines de rock ou de guitares, » se souvient Bettencourt. Probablement en hommage à Janet Jackson qui aura eu une grande influence sur sa musique, Rihanna avait fait appel au guitariste d’Extreme non seulement pour ses concerts, mais également pour un solo sur Anti, « Kiss It Better ». A la fin de ses interviews, Bettencourt demandait aux journalistes de rester pour le concert et de le regarder jouer avec Rihanna. « Je dirais que neuf fois sur dix, ils me répondaient ‘Merci beaucoup, mais ce n’est pas trop ma tasse de thé.’ Ils n’étaient pas condescendants, mais c’était plutôt ‘Oui, il est mignon.’ Ils ne comprenaient pas que c’est de la muqsique, et ils ne voyaient pas ce que vous pouvez faire avec une guitare. C’est d’ailleurs pour ça que [le producteur] a fait appel à moi initialement. »
Les réactions de ces journalistes font écho à celles qui avaient accompagné la consécration de Beyoncé en tant que Meilleure Performeuse Rock aux Grammys 2017. Avant que les distinctions de genre ne soient enlevées, c’est dans cette catégorie que Michael Jackson s’était déjà illustré avec un prix en 1984 pour « Beat It », tandis que le « Black Cat » de Janet Jackson avait été nominé en 1991.
« Diversifié ? Oui, mais un peu trop ! » avait expliqué David Draiman de Disturbed au magazine Billboard quand il était venu évoquer sa nomination face à la star de la pop. « Quand vous avez, avec tout mon respect, Beyoncé et Disturbed dans la même catégorie, quelque chose cloche. Je ne lui enlève aucun mérite, nous sommes juste très différents l’un de l’autre. »
Les plaintes de Draiman reflètent un problème plus global que connaissent la pop et le hard rock : ce débat constant concernant l’authenticité, les frontières et cette ségrégation persistante. Le heavy metal, et le rock en général, n’est plus le centre de l’attention, et le visage de la pop commence à refléter l’idéal utopiste de superstars qui ne seraient pas noires, similaires aux succès sans précédents des Jacksons.
« Le hard rock tel que nous le connaissons est un genre suprémaciste blanc, » écrit le critique Greg Tate. Et tandis que les stars de la pop noires n’ont plus besoin des rockeurs pour élargir leur public, les frontières du rock sont encore plus fermées qu’avant. Il y a un déni quant aux capacités des artistes noirs en matière de rock & roll. C’est simplement le réglet de l’Amérique et de cette peur qu’ont les Américains que celui qui réussit soit autre chose que blanc. Ils se sentent menacés et déstabilisés quand des gens de couleurs réussissent et qu’ils osent franchir les portes de leur royaume. »
Par Brittany Spanos / Traduit et adapté par Louise-Camille Bouttier
Eddith- Bloody
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